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L'Enfant Azur : Entre Neuroatypie, Inclusion, et Création Artistique »

par Amandine Habib

 

 

Table des matières:

  1.  Origine de l’article: Conversation avec une amie

  2.  Nine Spirit : Projets hybrides et OANI

  3.  Équilibre de rôles : Vie, création, et maternité

  4.  Changement en 2015 : une nouvelle dimension

  5. Confrontation à la différence : Parcours avec mon fils

  6.  Rencontres inspirantes et soutien crucial

  • Formation parentale : Clé pour comprendre l’autisme

  • Le cercle familial, un combat commun

   7. Festival Piano en Fleurs : inclusion

  8. Genèse de "L'Enfant Azur" : Spectacle inclusif

  9. Réflexions sur la signification de l’engagement et sur l’Autisme

  • L’engagement une autre forme de pudeur

  • L’Autisme et l’expérience de l’Autre

10. L’incarnation du projet créatif : la voix et les corps

  • Moonk, la voix et le corps

  • Angel et Vito, les corps et la danse

11. La résidence de création interdisciplinaire

12.  La première représentation de l’Enfant Azur dans le Jardin de Fontblanche à Vitrolles

13.  Conclusion : Rêver, rire, et accepter la singularité

 

1. Origines de l’article: conversation avec une amie

À l’origine de cet article, une conversation avec une amie de longue date : Julie Bourgeois de la marque de mode Tata Christiane


Nous étions deux gamines un peu originales au Lycée Thiers à Marseille. Julie cousait déja, et moi, je pianotais au Conservatoire : des premières robes de scènes, un bonnet, et de nombreux fous rires au passage. 

Adultes, aujourd’hui je réalise que ce que l’on pouvait appeler “originalité” hier, ne nous a pas quitté et devint aussi le socle de nos devenirs communs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tata Christiane                                                                              Amandine Habib

                                                                                                          

2. Nine Spirit - Tata Christiane : Projets hybrides et OANI
 

La couture de Tata Christiane se veut déconstruite, mais joyeuse, pour les reines ou les punks. Elle ressemble aux projets que je porte et que je défends.

Les projets de la Compagnie Nine Spirit dont je suis directrice artistique s’adressent aussi à toutes et tous. Ils sont hybrides par leur forme, souvent transdisciplinaires et transesthétiques. 

On pourrait qualifier ces projets de OANI : des Objets Artistiques Non Identifiables. 

 

Ces définitions de nos choix artistiques vont comme un gant si je puis dire,  à ce qu’est la neuroatypie : une manière assez différente d’être au monde. 

 

 

                             Amandine Habib  Récital

                                                                                                                                       Tata Christiane et sa création

 

 

« 𝘈𝘻𝘶𝘳 𝘧𝘢𝘪𝘵 𝘣𝘦𝘢𝘶𝘤𝘰𝘶𝘱 𝘥𝘦 𝘤𝘩𝘰𝘴𝘦𝘴 𝘲𝘶𝘪 𝘷𝘰𝘯𝘵 à 𝘤𝘰𝘯𝘵𝘳𝘦𝘴𝘦𝘯𝘴. 𝘔𝘢𝘪𝘴 𝘥𝘦 𝘲𝘶𝘦𝘭 𝘴𝘦𝘯𝘴 𝘱𝘢𝘳𝘭𝘦 𝘵-𝘰𝘯? 𝘋𝘶 𝘴𝘦𝘯𝘴 où 𝘭𝘦𝘴 𝘨𝘦𝘯𝘴 𝘰𝘯𝘵 𝘭'’𝘩𝘢𝘣𝘪𝘵𝘶𝘥𝘦 𝘥’𝘢𝘭𝘭𝘦𝘳 ? 𝘓𝘦 𝘴𝘦𝘯𝘴 𝘵𝘰𝘶𝘵 𝘥𝘳𝘰𝘪𝘵 𝘥𝘦 𝘵𝘰𝘶𝘵 𝘭𝘦 𝘮𝘰𝘯𝘥𝘦 𝘯’𝘪𝘯𝘵é𝘳𝘦𝘴𝘴𝘦 𝘱𝘢𝘴 𝘤𝘦𝘵 𝘦𝘯𝘧𝘢𝘯𝘵. » 


Mais revenons à l’Enfant Azur et à ses origines.  

 

3. Équilibre de rôles : Vie, création, et maternité

 

J’avais pris pour habitude de cloisonner, de séparer mes cerveaux : celui de pianiste classique, créatrice de projets, directrice artistique de la compagnie et du Festival Piano en Fleurs et professeure et, celui de maman de deux enfants. 

 

Pourquoi avoir autant différencié ces petits mondes ? Peut-être pour que l’univers de  chaque petite sphère construite, ficelée tel un rôti ne déborde pas et ne dégouline pas sur une autre partie de moi.
Avec toujours cette peur en filigrane qui imagine qu’une facette pourrait en annihiler ou en dévorer une autre.


Probablement aussi parce que dans les milieux artistiques (dans tous les milieux professionnels), les difficultés, la fatigue et les préoccupations au quotidien qu’engendre la maternité sont restées pendant longtemps des sujets assez tabous, même si les langues commencent à se délier depuis peu. Être mère et s’occuper de ses enfants étaient vus comme un obstacle à une évolution de carrière. 
 

Sans doute aussi, pour conserver l’idée que nous sommes productif.ve.s et créatif.ve.s à tous les moments de notre vie de la même manière.

 

 

4. Changement en 2015 : une nouvelle dimension


En 2015 une nouvelle page s’ouvrait, je devenais mère et malgré ou avec cela, mon activité artistique continuait de s’enrichir de nouvelles rencontres, de nouveaux projets. Le fil que j’avais commencé à tirer il y a fort longtemps, se déroulait certes différemment mais de façon peut-être plus puissante, plus concentrée. Mon rapport au temps changeait avec des enfants, mais j’étais enrichie de cette métamorphose.

5. Confrontation à la différence : Parcours avec mon fils

 

Puis, j’ai été confrontée à la différence de mon fils. 

D’abord des mots que l’on pose, TSA - Trouble du Spectre de l’Autisme - accompagné d’un TDAH - Trouble du Déficit de l’Attention avec Hyperactivité. 

Puis, petit à petit, j’ai compris qu’il fallait me former si je voulais l’aider.

Cette différence a été certes dure, parfois violente, a engendré beaucoup de tristesse et d’angoisses par moment, mais elle a été aussi un cadeau. Cette singularité nous fait réfléchir sur les concepts de norme, elle nous interroge sur notre manière de voir le monde, certaines fois avec beaucoup d’humour. 

Sur ce chemin, il y a tous les murs qu’on se prend : l’école qui n’a pas assez de moyen, les réflexions des uns et des autres, les lenteurs et le poids de l’administration et des institutions, la société qui n’est pas encore prête et éduquée à ouvrir son regard et son cœur à la neuroatypie. 

 

Contre ces murs, et les autres difficultés dans notre quotidien, j’avais trouvé une méthode pour continuer à me tenir debout et vaillante : plonger dans la mer sans combinaison peu importe la saison, et alors la rage se calmait. Je suis sûre d’une chose aujourd’hui : la mer lave, décharge le cerveau et l’âme de sa colère et de sa tristesse. 

 

 

 

 

                                                                                  La plage des Catalans, Marseille, un plongeon un matin dhiver

 

 

6. Rencontres inspirantes et soutien crucial

 

- Formation parentale : Clé pour comprendre l'autisme

 

Sur ce chemin, il y a aussi des rencontres merveilleuses, des personnes qui sont dans le même sillage, qui nous apportent des outils, des connaissances, de la joie et de l’aide. 

 

Je pense notamment à Coralie Outh, l’éducatrice de mon fils la fondatrice d’Autisme Pec, qui a changé notre quotidien avec les méthodes comportementales, de la guidance parentale puis qui m’a formée.

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                           Coralie Outh. Fondatrice Autisme Pec

 

Je crois de plus en plus que la formation des parents aux méthodes comportementales est le premier pas à faire pour aider nos enfants.

 

Je pense à Snejina qui m’a ouvert les portes de sa classe de piano pour personnes neuro atypiques à Paris.

 

Il y a aussi Christophe et Nathalie qui sont les piliers d’une association de parents d’élèves, la FCPE13. Ils aident bénévolement et au quotidien les parents dans leur combat, notamment pour la rédaction des dossiers MDPH qui n’est pas une mince affaire. 

 

La FCPE13 est devenue partenaire de Piano en Fleurs et a proposé de soutenir la création de l’Enfant Azur dans un très beau jardin à Vitrolles. 

 

- Le cercle familial, un combat commun

 

Je pense évidemment à ma sœur, Eglantine Habib, qui en a fait aussi son combat (avocate spécialiste d actions juridiques au bénéfice d'enfants en situation de handicap) et la famille proche qui petit à petit s’est intéressée à l’autisme et a regardé et aimé mon fils tel qu’il est. 

 

Eglantine Habib, avocate spécialiste du handicap

Je ne pourrais pas finir cette énumération de personnes merveilleuses sans citer mon bienaimé mari, mon coéquipier du quotidien dans cette aventure. 

 

                                                                             

 

 

                                                                                Ludovic H, mon mari, en pleine jungle

7. Festival Piano en Fleurs : inclusion

 

J’ai fondé le festival Piano en fleurs en 2020. Un festival de piano un peu particulier puisque depuis la deuxième édition, nous travaillons sur l’inclusion de personnes neuro-atypiques et sur une réflexion commune afin de rendre un évènement culturel inclusif. Mon équipe est sensibilisée à la Neuroatypie, se forme et s’implique énormément. Notre énergie commune sur le sujet est contagieuse.


 

 

 

 

 

 

                                                                   Première table ronde sur la neuroatypie et la musique Piano en Fleurs 2023

 

 

Pour l’édition 2023  je souhaitais programmer, entre autres concerts de piano, un spectacle qui traite du sujet de la Neuroatypie et qui s’adresse à tous, enfants et adultes. Ne trouvant pas de spectacle dans ce sens, qui me parle assez et qui soit aussi en résonance avec là où j’en étais de mes connaissances et de mon vécu, une idée a germé dans mon esprit : j’allais écrire et créer ce spectacle. 

8. Genèse de "L'Enfant Azur" : spectacle inclusif

 

Une fois cette idée posée, écrire devint une nécessité cathartique. Je me remémorais les particularités de notre parcours : des anecdotes les plus drôles, à certains moments plus sombres. Tout cela avait assez de profondeur et d’onirisme pour y rêver un conte initiatique. 

Les contours de l’Enfant Azur commençaient à apparaître : l’histoire d’un petit garçon TSA qui apprend à se connaître, à grandir et mûrir à travers ses différences.

Mais qu’allait-il se passer si, à travers ce conte je me dévoilais, je nous dévoilais ? 

                                                                  Création, première de lEnfant Azur juin 2023

 

Comment dépasser cette pudeur, et paradoxalement, à travers l’art n’est ce pas ce que l’on cherche par moment : donner la parole à des sujets peu traités et s’engager ? 

9. Réflexions sur la signification de l’engagement et sur l’Autisme

 

- L’engagement une autre forme de pudeur

 

Dans Thèse dans temps et récit, Paul Ricoeur écrit :

« Le temps devient humain dans la mesure où il est articulé de manière narrative ; en retour le récit  est significatif dans la mesure où il dessine des traits de l’expérience temporelle. » 

 

C’est donc à travers les récits et la narration que l’humanité se constitue et évolue. L’écriture de l’Enfant Azur est alors l’acte de prendre la parole pour transformer cette histoire personnelle, en celle d’un récit universel.

Dans un deuxième temps, la pudeur et l’ego s’effacent finalement pour la raison de la nécessité de cette création : elle sensibilise à la Neuroatypie. L’engagement prend la place de la pudeur: se servir de son histoire personnelle pour devenir un objet artistique qui s’engage sur une réflexion plus large. 

 

- l’Autisme et l’experience de l’Autre

 

L’Autisme. 

Les scientifiques n’en sont qu’au début de la connaissance de ces troubles. 

Steve Silberman dans son ouvrage Neurotribus - Autisme : plaidoyer pour la neurodiversité retrace comme un journaliste d’investigation l’histoire de l’autisme.  

Du premier diagnostic, à la définition de ce mot, aux découvertes des neuro sciences, aux combats des mères à travers l’histoire. Il met aussi en lumière ce que le traitement, à travers l’histoire de cette Altérité, dit des sociétés.

 

« Alors que le grand public se déchirait au sujet des vaccins, des adultes nouvellement diagnostiqués lançaient un tout autre débat sur la difficulté d’évoluer et de survivre dans un monde qui n’est pas fait pour eux. En racontant leurs parcours, ils ont découvert que nombre des défis qu’ils rencontrent chaque jour n’étaient pas des “symptômes” de l’autisme, mais des obstacles posés par une société qui refuse de consentir aux plus simples ajustements pour les personnes présentant des handicaps cognitifs, alors qu’elle fait des efforts en faveur des personnes souffrant de handicaps physiques comme la cécité ou la surdité. 

Une question en apparence simple a commencé à émerger dans mon esprit: après 70 ans de recherches sur l’autisme, pourquoi semble-t-on toujours en savoir si peu sur le sujet ? »

 

Le handicap n’est qu’une forme en puissance d’altérité. Les handicaps invisibles sont une altérité qui fait encore plus peur parce qu’elle semble sournoise, puisqu’invisible: les Autres qui semblent tellement identiques par l’aspect mais pourtant ils ne sont pas si semblables. Ils seraient comme un reflet étrange dans un miroir déformant. 

Je pourrais malheureusement donner de nombreux exemples de réactions complètement inadaptées, voire inhumaines face au handicap invisible de mon fils. Cette expérience au goût amer m’amène à penser que le traitement que nos sociétés donnent aux personnes porteuses de handicap invisible en dit long sur le rapport à l’Autre. 

L’état des lieux de ces comportements répétitifs serait en quelque sorte un thermomètre de notre humanité dans nos sociétés. 

 

Qu’est ce que l’Autisme si ce n’est un spectre dans lequel on liste des paramètres normatifs : les fonctionnements typiques d’un cerveau humain.  

Alors lorsque le curseur sur ces paramètres dépasse une certaine norme, le diagnostic tombe, on est Autiste. J’ai envie de dire que le plaidoyer pour la neurodiversité de Steve Silberman est aussi un plaidoyer pour l’altérité. 


 

10. L’incarnation du projet créatif: la voix et les corps

  • Moonk, la voix et le corps

Revenons encore à l’Enfant Azur, le texte était presque prêt à être conté.
 

Il fallait maintenant que l’objet artistique trouve sa forme et sa voix. Il me fallait trouver LA personne qui allait incarner la voix de l’Enfant Azur. Quelqu’un avec une sensibilité particulière. Je cherchais un comédien. Il y eut plusieurs essais infructueux. Alors serait-ce vraiment un comédien qui donnerait sa voix ?

Pour un projet qui parle de Neuroatypie ne faudrait-il pas une forme moins habituelle ?

Puis je rencontrais Moonk. Moonk n’est pas comédien, il est rappeur. Il joue aussi du piano.  

C’est une personne riche, sensible, créative, enthousiaste et…. atypique. 

Il s’est tout de suite emparé du texte, a fait des propositions et a incarné cet enfant Azur. Leurs atypies semblaient raisonner. 

Moonk raconte, scande, vit le texte et même le rap par moment. Lorsque le texte sort de sa bouche, il se colore de sa propre lumière, de son vécu, de ses visions.

                                                               

                            

                                                                     

 

                                                                                                       Moonk

 

  • Angel et Vito, les corps et la danse

Vito est danseur, il est italien, élégant, ses mouvements sont précis. Il allie technicité, et créativité. Je lui ai proposé de rejoindre l’aventure. Mêler les arts, et incorporer la danse prendrait son sens : le mouvement est encore un autre vecteur de compréhension, de sensibilité et raconte aussi sans mots. 

 

Vito a pris un temps de réflexion, puis m’a répondu que ce thème et cette histoire le touchait mais qu’il prendrait part au projet à condition qu’ils dansent à deux : Angel et Vito. Angel porte bien son nom, ses yeux sont d’une grande douceur, il est très profond. Ses gestes sont pensés et libres à la fois. Angel et Vito ont fondé leur propre compagnie de danse depuis peu la Compagnie Labotilar, et ont l’habitude d’élaborer des projets et de danser en duo. 

 

Nous serions alors quatre.

                                                   

 

 

 

 

 

                                            Vito et Angel photographe: Didier Philispart & son « Dance Underground Project »

10. La résidence de création interdisciplinaire


Nous avons d’abord travaillé en duo avec Moonk. Des cessions de travail à la maison autour du piano, durant lesquelles nous élaborions une trajectoire entre texte et musique. 

 

De mon coté je sélectionnais des pièces du répertoire classique – R. Schumann, JS Bach, F.Chopin, S.Reich..- mais aussi j’écrivais des thèmes sur lesquels j’improvisais et qui correspondaient à des éléments de l’histoire : le volcan, la baleine, les gens qui marchent tout droit…. 

La rencontre à quatre se déroula lors d’une première résidence au Conservatoire de Marseille, puis une autre entre le Conservatoire et le Ballet de Marseille. La danse rajoutait encore une autre dimension au projet : plus visuelle, elle faisait aussi le lien, plus explicite et paradoxalement encore plus poétique. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                   L’équipe artistique de l’Enfant Azur : MoonK, Amandine Habib, Vito Giotta et Angel Martinez Hernandez

 

 

Se construisait petit à petit, une énergie qui passait de l’un à l’autre. Rien ne primait : le scandement du texte, la musique, nos improvisations circulaient. La fluidité existait entre nous, une énergie baignée de beaucoup d’amour et de bienveillance.  

Nous racontions ensemble et à travers nos diverses disciplines, notre poésie commune, l’histoire universelle de la différence à travers les yeux et la voix de l’Enfant Azur. 


 

11. La première représentation de l’Enfant Azur dans le Jardin de Fontblanche à Vitrolles

 

Enfin le jour de la création arriva. Nous étions dans le magnifique jardin de Fontblanche à Vitrolles, sur une grande scène. Le temps était radieux, la scène et le public entourés de magnifiques et vieux platanes. Le public  était constitué pour beaucoup de parents affiliés à la FCPE13 et nous attendions aussi des familles d’enfants neuro atypiques. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                           

                                        LEnfant Azur creation le 24 juin 2023 à Fontblanche

 

 

Lors de la dernière rencontre avec Christophe (FCPE13), qui ne mâche pas ses mots, il m’avait interpellée :

«  Tu milites pour l’inclusion. On demande aux familles avec des enfants neuro atypiques de passer les portes de nos concerts, mais tu n’amènes pas ton fils pour la création de l’Enfant Azur ? »

Il y a quelques années, mon mari emmenait nos enfants à certains de mes concerts. Lors d’un concert en extérieur, E. avait fait une crise, il voulait monter sur scène avec moi. Depuis ce jour, j’avais décidé de continuer à les amener aux concerts, mais plus aux miens. 

Une fois de plus je rangeais, je cloisonnais, je croyais le faire dans notre intérêt mais c’était surtout pour ce qu’on appelle des comportements inadaptés,  ne de-rangent pas. Mais n’est ce pas au monde de s’adapter à ce dérangement ?

 

Christophe avait raison, mes actes devaient suivre mes paroles de militante. 

 

E. serait présent mais je ne lui avais pas dit que le sujet du spectacle était son parcours.

 

Il est resté avec nous un long moment dans les loges juste avant l’entrée sur scène et ne voulait pas me quitter. J’avais peur d’une crise mais le moment du spectacle arriva et il s’assit avec sa grand-mère et  écouta avec attention. Cette première de l’Enfant Azur, a ému, fait rire et a transporté le public. Quelques larmes ont coulé sur les joues de ma fidèle équipe, de proches, du public et même de personnes aguerries.
 

12. Conclusion : Rêver, rire, et accepter la singularité


Militer pour l’inclusion est aussi un mouvement interne qui nous oblige à repenser nos propres positions. Malgré les formations, les différentes lectures, et tout l’engagement dans ce sens, l’altérité nous questionne toujours et nous fait aller sur des chemins sur lesquels nous n’irions pas naturellement. 

 

Revenons aux définitions de la notion de l’Autre et faisons un détour par le Talmud.

 

Le Talmud retrace l’histoire de ce rabbin appelé Elisha ben Abouya. Un grand érudit et un grand mystique qui devint hérétique. Marc-Alain Ouaknine livre et donne une interprétation de  son histoire dans son bel ouvrage Lire aux éclats

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lorsqu’Elisha choisit l’apostasie, il devient Ahèr, c’est à dire l’Autre. Marc-Alain Ouaknine nous fait aussi remarquer que le mot dérivé de Ahèr est Ahariyout c’est à dire la qualité d’être autre. Ce mot ne désigne pas l’altérité mais la responsabilité. C’est être responsable pour l’autre, de l’autre. Cette notion de responsabilité, nous la retrouvons dans le droit, et dans les réflexions sur l’inclusion. Chacun devrait se sentir libre, responsable de ses actes et non pas des actes de l’autre. Mais vraisemblablement considérer l’Autre c’est aussi se soucier de son bien être. 

 

Si l’on revient maintenant à l’origine du mot Autisme, il est créé en 1911 par le psychiatre suisse Eugen Bleuler, et provient du grec autos signifiant « soi-même ». En choisissant ce mot, Eugen Bleuler voulait sûrement signifier un repli sur soi-même. Mais si nous reprenons le sens grec du mot, ca pourrait aussi signifier, que l’autisme est comme « soi-même ». 

Ce « soi-même », si ressemblant mais pourtant qui diffère. Qui dérange aussi. Cette définition, un peu tirée par les cheveux je vous l’accorde, prend une couleur particulière si l’on revient sur le sens normatif de l’autisme.

 

Enfin, quelques dernières pistes de réflexion : dans le Talmud, les racines du mot autre ou altérité sont Ah : signifiant le frère, le feu central qui se trouve au cœur d’une maison et qui signifie aussi coudre - n’est-ce pas Tata Christiane?-, prendre et saisir.

Toute expérience humaine forte nous oblige à nous déconstruire pour nous reconstruire un peu différemment. Et cet adage qui ne cesse de résonner : avec un enfant extra-ordinaire, nous avons un quotidien extraordinaire, dans tous les sens du terme. Cet adage qui résonne jusqu’à nous faire entendre raison. Entendre raison dans l’acceptation des différences. Entendre et crier ou chanter que ce n’est pas à eux de s’adapter au monde mais au monde de faire le nécessaire pour accepter leurs singularités.

 

Ce jour, sous les platanes, nous avons résonné dans la même vibration, avec les Autres, les neurotypiques, les neuroatypiques, enfin, tous les Autres sans finalement les nommer. La notion d’inclusion n’existait plus. Nous n’en avions plus besoin puisque nous rêvions ensemble. 

 

 

 

 

 

 

                                            Bord de scène avec E.

 

À la fin du spectacle, nous avons fait « un bord de scène» : un temps de dialogue avec le public. E. est venu nous rejoindre, il est monté sur scène, il avait dû se reconnaître. Ce moment simple mais vertigineux était plein de symboles : j’étais mère de tout mon cœur, mais aussi pianiste, directrice… et  toutes ces petites ficelles qui retenaient ces parts de moi se sont dénouées pour voleter ailleurs, peut-être dans le monde de l’Enfant Azur. Et peu importe ce que la société pouvait attendre de moi, puisque je traçais ma voix avec l’encre et le geste de ces facettes réunies et libérées.

 

Ce témoignage ne pourrait se terminer par un point final. Cette réflexion n’est qu’un commencement, il irradie aujourd’hui toutes les sphères de mes mouvements. Alors rêvons, rions et continuons à réfléchir ensemble avec cette fantastique citation et définition de l’Autre par Marc- Alain Ouaknine : 


«N'ayant pas de lien, il est lié à l'inconnu. Il affirme la différence, l'inattendu. Par son rire, il fait éclater toute pensée qui cultiverait l'illusion de la vérité. »  

                                           

                                        

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